Militante et véritablement engagée en matière de sécurité routière depuis plus d’une décennie, Afef Ben Ghenia vise à placer cette problématique au cœur des priorités nationales. Dernièrement, elle a lancé un message unanime aux instances gouvernementales et aux médias pour plus d’implication au motif que «chaque vie compte, et il est temps d’agir collectivement pour réduire le lourd tribut payé sur nos routes». Dans son appel à l’action collective et concertée, Ben Ghenia a souligné la nécessité d’une collaboration intersectorielle renforcée, englobant les ministères, les municipalités et les acteurs de la société civile, pour trouver des solutions efficaces et durables. Dans cet entretien, elle brosse le tableau de la sécurité routière en Tunisie en ce début d’année 2025 et les nouveaux défis qu’elle s’est fixés et ceux qu’elle voudrait voir se concrétiser.
Suite à vos nombreuses interventions médiatiques, notamment sur les ondes radiophoniques, au sujet du «plaidoyer de l’ASR pour sauver des vies» mais aussi des «ASR Young leaders» pour plus d’engagement en matière de sécurité routière, pouvez-vous nous relater les traits les plus marquants et nous en dire plus ?
Depuis sa création, l’Association des ambassadeurs de la sécurité routière (ASR) s’engage activement dans un plaidoyer visant à faire de la sécurité routière une priorité nationale auprès des décideurs et à renforcer une culture de prévention afin de réduire le nombre d’accidents et de sauver des vies. Nos interventions médiatiques ont contribué à soutenir les efforts des institutions gouvernementales et à sensibiliser l’opinion publique aux dangers de la route, tout en insistant sur l’importance de mesures concrètes pour protéger les usagers. Nous avons identifié plusieurs axes prioritaires. L’instauration et l’application effective des zones 30 km/h. Grâce à notre plaidoyer entamé dès 2018 et à l’implication des parties prenantes, nous avons obtenu la révision du décret 151/2000 régissant les règles générales de circulation. Depuis le 13 juin 2023, ce décret impose la réduction obligatoire de la vitesse aux abords des établissements scolaires, des centres de formation et de jeunesse. Actuellement, nous œuvrons à sa mise en application dans le cadre du projet “Des routes sûres pour les enfants et les jeunes en Tunisie”, en partenariat avec le gouvernorat de Tunis et un comité de pilotage réunissant les ministères clés de la sécurité routière : ministère de l’Intérieur (police de la circulation, garde nationale, Observatoire national de la sécurité routière), ministère des Transports, de l’Équipement, de la Santé et de l’Éducation. Pour accompagner cette mise en œuvre, nous avons élaboré un guide pratique détaillant l’application et l’exécution des zones 30 km/h. Cet outil, conçu avec l’ensemble des parties prenantes, vise à faciliter le travail des municipalités, des directions régionales des ministères concernés et des forces de l’ordre pour l’identification et l’application de ces zones dans les secteurs à risque. Nous sommes convaincus que cette initiative contribuera significativement à la réduction des accidents et de leur gravité, notamment chez les usagers vulnérables. Il est essentiel de rappeler qu’abaisser la vitesse permet d’augmenter considérablement les chances de survie : en cas d’accident, elles sont de 20% à 50 km/h contre 90% à 30 km/h. Nous plaidons également pour une amélioration du système de collecte de données sur les accidents, afin d’obtenir des données précises, fiables et exhaustives. Dans cette optique, l’ASR a mené un projet pilote en collaboration avec l’Observatoire national de la sécurité routière, la police de la circulation et la garde nationale. Ce projet a abouti au développement d’un nouvel outil numérique permettant la collecte des données directement sur les lieux des accidents. Expérimenté pendant six mois dans le Grand Tunis, cet outil a montré son efficacité et le ministère de l’Intérieur a pris la décision de travailler sur la numérisation de tout le système de collecte des données. Cette avancée stratégique permettra une meilleure analyse des tendances accidentogènes et une prise de décision plus efficace pour lutter contre l’insécurité routière. Par ailleurs, le non-port de la ceinture de sécurité est un facteur de risque majeur ayant un impact direct sur la gravité des accidents. L’ASR a activement plaidé aux côtés des parties prenantes pour la mise en vigueur de cette obligation dans les zones urbaines. Grâce à ces efforts, la loi rendant le port de la ceinture obligatoire a été promulguée le 27 avril 2017 et appliquée strictement trois mois après son entrée en vigueur. Les premiers résultats ont montré une diminution notable de la gravité des accidents. Aujourd’hui, nous lançons un appel urgent pour un meilleur contrôle du respect de cette obligation, car le port de la ceinture reste un élément vital pour sauver des vies en cas d’accident. Et face aux chiffres alarmants des accidents de moto, qui ont causé 464 décès en 2024, soit 39,69% des décès sur la route, nous travaillons sur l’intensification des campagnes de sensibilisation et des actions de plaidoyer pour un meilleur contrôle et un renforcement de la loi. Nous plaidons également pour un durcissement des mesures relatives à la limitation de vitesse, au port obligatoire de la ceinture de sécurité, à la lutte contre la distraction au volant, notamment l’usage du téléphone, à la conduite sous l’emprise de la fatigue, de médicaments, de drogues ou d’alcool. Plus encore, l’application stricte de la loi, la numérisation du contrôle routier et la généralisation des radars automatiques sont essentielles pour responsabiliser les conducteurs et mettre fin aux comportements dangereux. Afin de mobiliser et d’impliquer la jeunesse à la sécurité routière, nous avons également lancé le programme ASR Young Leaders, en partenariat avec l’organisation mondiale des jeunes Yours, afin d’encourager l’engagement des jeunes pour la sécurité routière. Notre objectif est de former une nouvelle génération d’ambassadeurs capables de sensibiliser leurs pairs et de proposer aux décideurs des solutions innovantes. En Tunisie, 57% des victimes d’accidents de la route sont des jeunes, ce qui renforce l’urgence d’agir. Le programme comprend des formations en renforcement des capacités, des débats et des actions de terrain pour faire de ces jeunes des acteurs du changement. D’ailleurs, Jihed Rebai, un jeune leader ASR, représentera la Tunisie à la 4e conférence ministérielle mondiale sur la sécurité routière, qui se tiendra au Maroc du 18 au 20 février prochain, afin de porter la voix de la jeunesse tunisienne engagée pour des routes plus sûres. De mon côté, je participerai également à cette conférence en tant que panéliste, pour présenter notre étude de cas sur la manière dont l’ASR a plaidé avec succès pour une politique de sécurité routière fondée sur des données probantes, notamment l’instauration des zones 30 km/h. Comme nous l’avons déjà souligné lors de nos interventions, l’Association des ambassadeurs de la sécurité routière (ASR) suit une stratégie claire pour améliorer la sécurité routière en Tunisie. Notre approche repose sur le renforcement des efforts déployés par les structures gouvernementales, en proposant des projets et des initiatives fondés sur des données fiables et capables d’avoir un impact concret et mesurable. Une fois ces projets concrétisés et leurs résultats démontrés, notre objectif est qu’ils soient adoptés par le gouvernement et généralisés à l’échelle nationale, afin d’instaurer des solutions durables et efficaces pour sauver des vies sur nos routes.
On a entendu de nombreuses statistiques sur les caractéristiques des accidents de la route, à savoir la barre des 1.000 victimes chaque année qu’on n’arrive pas à faire baisser pour sauver des familles et épargner des drames, le fait que plus de la moitié des victimes sont des jeunes et que les amendes seraient quelque peu non dissuasives par rapport à ce qui se pratique en dehors de la Tunisie, tout cela sachant que vous êtes pour plus de répression, surtout durant les vacances d’été, les rites et les fêtes?
Les chiffres de l’insécurité routière en Tunisie demeurent alarmants et stagnent à un niveau inacceptable, avec plus de 1.000 décès par an et un taux de 16 décès pour 100.000 habitants, selon le dernier rapport de l’OMS publié en décembre 2023. Bien que le nombre d’accidents ait diminué ces dernières années, et ce malgré l’augmentation constante du parc automobile, la situation reste une véritable tragédie humaine et sociale. Plus préoccupant encore, 57% des victimes sont des jeunes, ce qui souligne l’urgence d’une action ciblée pour protéger cette catégorie particulièrement vulnérable. Concernant la question des sanctions, il est clair que les amendes actuelles ne sont pas suffisamment dissuasives par rapport aux standards internationaux. La sanction doit être proportionnelle au danger encouru et réel pour l’usager, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui. Un conducteur doit comprendre que chaque infraction qu’il commet peut avoir des conséquences dramatiques, non seulement pour lui-même, mais aussi pour les autres usagers de la route. C’est pourquoi je plaide en faveur d’un renforcement du contrôle et de l’application stricte des lois, notamment durant les périodes à risque, comme les vacances d’été, où le trafic est plus dense et les comportements imprudents plus fréquents, ou encore pendant les fêtes, où l’on observe une hausse de la conduite sous l’emprise de l’alcool ou de la fatigue. L’impunité encourage la récidive, et nous devons impérativement mettre fin à cette tendance en instaurant un système de contrôle routier plus rigoureux et digitalisé, à l’image des pays qui ont réussi à réduire drastiquement leur taux d’accidents. Cela passe également par la généralisation des radars automatiques, l’augmentation des sanctions pour les infractions graves (excès de vitesse, non-port de la ceinture, usage du téléphone au volant, conduite sous influence) et surtout par une présence renforcée des forces de l’ordre sur le terrain pour un contrôle visible et efficace. Mais au-delà de la répression, il est essentiel de rappeler que la prévention et l’éducation restent des essentielles pour instaurer une véritable culture de la sécurité routière en Tunisie. Nous devons responsabiliser chaque usager et faire en sorte que respecter le code de la route devienne un réflexe naturel, et non une contrainte imposée par la peur de l’amende. Tant que des vies sont perdues à cause d’imprudences évitables et d’un manque de discipline sur nos routes, nous devons continuer à agir avec fermeté et détermination. La sécurité routière n’est pas une option, mais une priorité nationale.
En quoi consiste l’appel urgent que vous avez adressé à toutes les structures gouvernementales pour renforcer leur implication et intensifier leurs efforts afin de mettre fin aux accidents de la route en Tunisie et quelles démarches ou solutions temporaires proposez-vous?
L’appel urgent que nous avons lancé aux structures gouvernementales vise à renforcer leur engagement et à intensifier les efforts pour réduire drastiquement les accidents de la route en Tunisie. Nous avons insisté sur l’application stricte des lois existantes, le renforcement des contrôles routiers et l’accélération de la mise en œuvre de mesures de prévention adaptées aux réalités de notre pays. Les principales actions que nous recommandons portent sur plusieurs points. Entre autres, un contrôle renforcé et digitalisé et l’accélération de l’application des zones 30 km/h. Ainsi, après la révision du décret 151/2000, nous appelons à une mise en œuvre rapide et effective de la réduction de la vitesse autour des établissements scolaires et dans les zones à risque, avec une signalisation claire et un contrôle strict. On préconise également le renforcement des sanctions. Aujourd’hui, les amendes ne sont pas assez dissuasives. Nous demandons un durcissement des sanctions pour les infractions graves et une application systématique des peines en cas de récidive. Pour une meilleure gestion des points noirs, nous proposons des solutions temporaires immédiates, comme la pose de ralentisseurs, le renforcement de l’éclairage public et l’amélioration de la signalisation dans les zones accidentogènes, en attendant des aménagements plus durables. Un changement durable ne peut être atteint sans une véritable culture de la sécurité routière. Nous appelons à l’introduction de l’éducation à la sécurité routière dans les programmes scolaires. Le message est clair. Nous ne pouvons plus nous contenter de demi-mesures ou d’initiatives isolées. Il est temps d’agir collectivement et avec fermeté pour mettre fin à cette hécatombe. Chaque jour qui passe sans action décisive coûte des vies. Il n’y a plus de place pour l’attentisme, la sécurité routière doit devenir une priorité absolue pour sauver nos concitoyens.